Pour les Français qui travaillent au Japon

 

 

 

@@@@@@@@ @Yoshinobu Ogimoto

 

Docteur en médecine                                  1.juillet.2004

 

Psychiatre

 

 

 

Même vous, Francais, dont la patrie a introduit le régime des 35 heures par semaine, êtes surchargés de travail dans notre pays où ‹la loi sur les conditions de travail› fut édictée avant même les élections organisées sous la nouvelle Constitution. Les deux autres lois principales, ‹la loi sur les syndicats› et ‹la loi sur lfaménagement des retations du travail›, elles-aussi, furent édictées juste après les élections. La période de lfimmédiate après-guerre au Japon a été marquée par la «purge blanche» menée par les autorités dfoccupation qui souhaitaient encourager la syndicalisation et les droits des ouvriers, afin de limiter la puissance des entreprise et celle étatique du Japon. La volte-face a accompagné le commencement de la guerre froide. La «purge blanche» a cédé la place à une «purge rouge», qui a décapité le mouvement ouvrier et se poursuit de nos jours, se renforçant même peu à peu, surtout sur le plan idéologique 1). En fait une idéologie domine le Japon. Cette idéologie mérite le qualificatif de composite. Ainsi dès qufun slogan tel que celui de la méga-compétition est importé au Japon, il se traduit par une compétition entre les ouvriers plutôt qufentre les entreprises, lutte dfun ouvrier contre les autres ouvriers. Le résultat est une chute de la valeur marchande du travail (surtout du fait des heures supplémentaires), lfimposition dfun potlatch de travail (souvent gratuit). Idéologie composite, peut-on dire, de globalisation et de mentalité japonaise traditionelle, une variante du totalitarisme de type «personnalité autoritaire» (décrite par lfécole de Frankfurt). On pourrait y trouvait lfidentification à lfUn, mais le rapport de chaque individu à lfUn, au Japon, reste solitaire, rapport plus proche de celui présent dans le protestantisme que dans le catholicism — quoi qufen disent les auteurs de «communauté désœuvrée» et de «communauté inavouable» 2), lfesprit communautaire est bien vivant dans votre pays, pays catholique, communauté et communion ayant la même racine.

 

 

 Révision législative, dont la mise en vigueur de nouvelles lois comme la loi sur lfégalité des chances entre hommes et femmes, la loi sur la consolidation du contrôle administratif des mutations et sur les conditions de travail des employés mutés, ou encore régularisation des nouvelles formes de travail comme le système dfhoraire à discrétion, le traitement annuel pour les cadres 3), etc., etc. Tout cela ne vise le plus souvent qufà légaliser des formes de travail existant déjà de façon clandestine dans ce pays. Chaque fois qufun amendement ou ajout dfun article à une loi spécifique a été effectué, on a dû rétrospectivement modifier les termes ou chiffres contenus dans lfarticle correspondant du Code du travail, lequel est considéré comme loi générale. Dfautre part, il existe toujours un décalage de temps entre lfaménagement des lois spécifiques sur le travail et les révisions de la loi sur les conditions de travail. Par exemple, le ministère de la santé et du travail a publié en août de cette année un décret qui va tôt ou tard nécessairement aboutir à lfamendement de la loi sur la sécurité et lfhygiène du travail.

 

Selon ce décret, au cas où les heures supplémentaires mensuelles dfun travailleur dépasseraient 100 heures ou les heures supplémentaires moyennes sur deux ou six mois ont dépassé 80 heures, le médecin du travail devrait examiner ce travailleur. Poutant, dans lfarticle 38 alinéa 3 du Code du travail, on trouve des directives sur le système dfhoraire à la discrétion, ou dans lfarticle 36, des directives limitant les heures supplémentaires (à 15 heures par semaine et 45 heures par mois dfabord, puis à des heures exceptionnelles dépassant cette limite). Mais les heures annoncées par ce décret, qui, bien entendu, sonne lfalarme sur la situation actuelle du travail dans ce pays, sfécartent des chiffres mentionnés dans la loi sur les conditions de travail, loi déjà conditionné elle-même par toutes les autres lois ou règlements administratifs relatifs au travail. Choisissant toujours le satu quo, le Japon nfest donc plus un État régi par le droit, en ce sens qufil se chargerait de la révision ou de la mise en ordre des droits avec une vision très ferme de lfavenir. Quand à la loi sur lfégalité des chances entre hommes et femmes, elle a été annoncée et préparée avec, pour objectif premier, lfabolition des règlements sur la protection des femmes ouvrières mentionnée dans un article de la loi sur les conditions de travail. Notons que le mot japonais  «HOU» signifie à la fois «loi» et «droit». Mais  «HOU/droit» ne signifie pas vraiment, pour le peuple japonais, celui dans le sens de droit de lLhomme, possibilité ou autorisation, mais désigne au contraire ce qui est exigible, obligation. Il en résulte de longues heures de travail pour les femmes, ce qui favorise le camouflage de lfécart salarial entre hommes et femmes 4). Sur le système de travail à discrétion ou le système de traitement annuel, les commentaires seraient inutiles. Les travailleurs japonais multiplient les heures supplémentaires à qui mieux mieux.

 

 

 Je me rappelle le compte-rendu de «La Mélancolie» de Tellenbach dans «lfÉvolution psychiatrique». Cette œuvre a été introduite et traduite plus tardivement en France 5) qufau Japon où elle a défrayé la conversation parmi les psychiatres. En fait, les femmes allemandes au foyer correspondaient aux employés japonais hommes dans leurs sociétés respectives. Le mot Typus Melancholicus était à la mode dans le monde psychiatrique japonais des années 60 et 80. Aujourdfhui, la dépression ne choisit plus les individus caractérisés par ce Typus, mais au cœur de la psychopathologie collective, si je puis dire, des Japonais, se trouverait un noyau résistant qui a son corrélatif manifeste, la Schuld, terme clef du Typus — aucun mot semblable dfautres langues ne saurait la représenter — dette au sens de ce qufon doit payer, bref une obligation. Mais obligation pour qui ? Chose certaine, ce ne devrait pas être une obligation pour la population japonaise. Cfest bien entendu à lfÉtat dfassumer ses responsabilités, concernant notamment le déficit budgétaire ou la gestion des bons du Trésor. En réalité, ces responsabilités retombent sur le citoyen japonais qui se sent obligé de ‹payer› pour lfÉtat. je fais remarquer ici que la dette psychologique a tendance à pousser à payer par avance. La culpabilité que connote aussi la Schuld serait un symptôme qui servirait à écarter le fait économique  au sens à la fois litéral et psychanalytique du terme. Dans ce cas particulier, le contre-investissement est destiné à fixer la Schuld dans la conscience. Lfexpression, die Schuld auf sich nehmen, veut dire prendre sur soi une faute dfautrui.

 

 

 Les «Résultats de lfenquête sur lfétat de santé des ouvriers» publiés lfannée dernière par le Ministère de la Santé et du Travail 6), révélent que la dégradation de la santé à la fois physique et psychique a atteint de nouveaux records ; 72,2% des travailleurs ont répondu qufils ressentaient de la lassitude physique ; 61,5% se sont dits stressés par leur travail.  Concernant la santé mentale des ouvriers, le choix des personnes consultées par ces derniers en cas dfangoisse ou de problèmes de stress liés à la vie professionnelle (avec jusqufa trois possibilités de réponses) révéle la conscience dfune appartenance chez les travailleurs japonais. Ainsi les supérieurs ou les collègues sont consultés dans 64,2% des cas, la famille ou les amis dans 82,3% des cas. Par contre, les médecins du travail viennent loin derrière avec 4,8% et les autres médecins sont encore moins souvent consultés 7). Dans cette même enquête, les réponses des entreprises, interrogées sur les mesures prises en faveur de la santé mentale de leurs employés, révélent les retards pris et les insuffisances, surtout dans le cas des petites entreprises. Dans une partie des grandes entreprises, commence par contre à se dessiner une prise de conscience des problèmes liés au travail. Un médecin du travail, psychiatre, insiste sur les trois risques liés à la dépression : 1er risque : celui de voir les travailleurs eux-mêmes devenir dépressifs ; 2ème risque : celui posé aux entreprises dont les travailleurs deviennent dépressifs ; 3ème risque : celui posé au personnel chargé de la santé mentale des employés dans les entreprises. Le premier risque se passe dfexplications. Le principal danger, dans ce cas, est bien entendu, la possibilité dfun suicide. Le deuxième risque peut se traduire par des problèmes dans le travail provoqués par la baisse des motivations dfun ou plusiers employé(s) dépressif(s), ou même lfarrêt des travaux en raison dfune/des absence(s) due(s) à lfaggravation de la maladie. et enfin les dommages intérêt pour les employés suicidés jugés être morts de fatigue 8). Le troisième risque est celui des recherches sur la responsabilité éventuelle dfun médecin de travail lui-même qui aurait laissé passer inaperçu un symptôme de lfétat dépressif dfun employé. Jfajouterais à la liste un quatrième risque, celui posé à la nation japonaise.

 

 

 Parmi vous, il y a ceux qui sont opposés à une théorie de la valeur travail. Mais une chose certaine est que les êtres humains ne peuvent pas se passer du travail pour survivre. À moins qufil advienne un âge où, grace à lfinnovation technologique, les robots se chargeront de tout le travail à la place de lfhomme. La reproduction de lfexistence des travailleurs, des sociétés des États, tout cela est basé sur la reproduction du travail. En Angleterre, à lfépoque où Marx rédigeait son Capital, les ouvrier se levaient le matin, prenaient leur petit déjeuner, sortaient pour aller à lfusine, et travaillaient dans de mauvaises conditions, puis, épuisés ils rentraient chez eux — bien que leurs maisons ne leur appartiennent jamais en prorpre, puisqufils était prolétaires — et jouissaient, en tout cas, dfune vie de famille, se nourissaient bien et enfin dormaient suffisamment pour récupérer, prêts, le lendemain matin, à renouveler leur travail. Cfest ainsi que se réalisait la reproduction (de la force) de travail. Dfautre part, lfaccumulation de biens était nulle pour le prolétaire dont lfexistence, de par son statut, ne se reproduisait que purement et simplement. Le prolétariat restait, à cette époque, le prolétariat. La reproduction y était doublement assurée, sur le plan à la fois ontogénétique et phylogénétique, les fils des prolétaires étant eux aussi prolétaires : la reproduction au sens sexuel de ce mot était possible. Exception faite du travail dans une partie des grandes entreprises, lfimpossibilité de la reproduction est partout présente au Japon 9). Même si lfon ne prend pas en compte la bévue des principaux ministres et du dirigeant du plus grand parti dfopposition à la Diète qui nfavaient pas versé une partie de leurs cotisation au régime général, le système des retraites est, il faut lfavouer, au bord du gouffre. Une publication de lfambassade du Japon en France 10) expose le vieillissement et la baisse de la natalité chez les femmes entre 25 et 30 ans au Japon — mais en France, malgré la baisse de la nuptialité, la natalité sfaméliore peu à peu, alors que ces deux indicateurs sont en chute au Japon. Cfest non seulement un obstacle au maintien du système de retraites, mais aussi, sans nul doute, un élément du diagnostic dfune maladie nipponne dont le pronostic est désespérant : La stérilité sévit au Japon. Pourtant aucun dirigeant dans ce pays nfest prêt à prescrire un remède un tant soit peu efficace pour répondre à cette urgence. Qfen pensez-vous ?

 

 

 

1) Un certain Francis Fukuyama a beau dire, lfâge où nous vivons ne doit être jamais la fin de lfhistoire, la fin de lfidéologie. Disons plutôt que notre âge est refoulé. Par quoi ? exactement par une idéologie, le refoulement et le retour du refoulé étant la seule et même chose selon se que dit Lacan, une idéologie de la fin de lfidéologie/lfhistoire. Si le XXème siècle fut celui de la guerre, le XXIème siècle marquerait la fin, donc la fin dfune histoire mais certainement pas la fin de lfHistoire, et le commencement dfune autre, celui du terrorisme. Il nfest pas étonnant que George Bush ait traité 9.11 dfacte de guerre. Les parole et les acte qui ont suivis étaient absolument réactionnels. Si on définit la guerre comme lutte armée entre deux ou plusieurs Nations-États, la soi-disant guerre de trente ans, par exemple, nfest pas à proprement parler une guerre. Ce nfétait qufun conflit entre deux sectes religieuses, nfest-ce pas ? Après les deux grandes guerres mondiales, chaque fois que se révéle la fragilité de lfarbitraire des lignes de démarcation qui stimule les sentiments éthniques écartelés, un nationalisme sfexalte en sein dfun/des État(s) — il est vrai que lfillusion des États-Unis est tellement mielleuse — avec comme on peut le voir la formation réactionnelle pour lfunification fallacieuse dans un «melting pot» qui en fait nfest qufun «salade bowl».

 

 

 

2) Jean-Luc Nancy : La communauté désœuvrée (estrait de la revue «ALEA» No4. Février 1983 ; Maurice Blanchot : la communauté inavouable. Édition de Minuit 1983

 

 

 

3) v.http: // 216.239.57.104/search?q=cache:c4 QRfd8T6d8J: www.fr. embjapan.go.jp/regard/regard_pdf/EMPLOI.pdf+travail,discr%C3%A9tionnaire&hl=fr&ie=UTF-8

 

 

 

3) v. http://www.criaw-icref.ca/factSheets/Poverty_fact_sheet_f.htm

 

http://www.fafia-afai.org/Bplus5/sidee_f.htm

 

 

 

5) Tellenbach Hubertus. Melancholie : Problemgeschichite, Endogenität, Typologie, Pathogenese, Klinik, Berlin : Springer, 1961 (tr. fr. dir. D. Macher. Paris : PUF, 1979)

 

 

 

6) sondage par le ministère de la santé et du travail

 

http://www.mhlw.go.jp/toukei/itiran/roudou/saigai/anzen/kenkou02/

 

 

 

7) Nfhésitez pas consulter avant tout dans son cabinet médical un psychiatre  pour qui la protection de la vie privée ainsi que la confidentialité des informations personnelles et médicales, est méta-règle. Des confidences à dfautres personnes entraîneraient des résultats désavantageux pour votre carrière.

 

 

 

8) plus de 100 suicidés ont été jugés être morts de fatigue lfannée dernière au Japon.

 

 

 

9) dfaprès Althusser, ce serait lfimpossibilité de la reproduction de la force de travail, dans ce cas, censée être au-dessus même de la condition dernière (v.‹Sur la reproduction›, PUF, P.73) de la production. Si cfest ainsi, une critique dfautres reproductions, celle culturelle, sociale etc., etc. nfaurait pas de sens?

 

 

 

10) v.http://www.fr.embjapan.go.jp/brief/03_jb303.html(ambassade du japon en France)

 

la législation du libre choix des noms différents entre les époux pourrait frayer le chemin à une solution au problème de la légitimation des enfants naturels.